La légende Bertrand Fillistorf

Phénomène de longévité, Bertrand Fillistorf a joué près 23 saisons dans la cage du FC Bulle, qu’il a commencé à défendre en 1980, déjà. Gardien un jour, gardien toujours. Itinéraire d’un homme qui s’apprête à poser ses gants pour cause de blessure. «Je n’ai pas l’impression que plus de vingt ans ont passé. Dans ma tête, je n’ai pas le sentiment d’avoir vieilli. C’est pour cela que je joue toujours…»

Pensif, Bertrand Fillistorf contemple Bouleyres, laisse courir son regard sur cette pelouse qu’il foulait déjà en 1980. Pensionnaire de LNA, le FC Bulle faisait alors le plein, attirait la grande foule quand GC ou Servette débarquait en Gruyère. A l’époque, la fréquentation dépassait les 6000 spectateurs de moyenne, avec des pointes à plus de 7000 contre Xamax ou Vevey.

Désormais, le club vivote dans l’anonymat de la première ligue et l’affluence est aujourd’hui retombée à quelques centaines de nostalgiques, guère plus. Si Bulle ne fait plus recette, Bertrand Fillistorf, le très fidèle gardien des lieux, est toujours là, qui, à 41 ans, vient d’entamer sa… 23e saison dans la cage gruérienne. Un attachement, une fidélité à des couleurs, un enracinement à une région qui tranchent avec la manie des footballeurs actuels, affublés d’une bougeotte perpétuelle, changeant de maillot à chaque occasion. «Bulle, c’est une partie de ma vie. Je ne me voyais pas partir ailleurs pour (re)trouver… la même chose.»

Bulle, c’est une partie de ma vie. Je ne me voyais pas partir ailleurs pour (re)trouver… la même chose.

Bertrand Filistorf

Aussi comprend-on aisément que le gardien de Bouleyres ait tout vu, tout connu (la LNA, la LNB, dorénavant la première ligue) là-bas; voyant défiler des générations de joueurs, des dizaines d’entraîneurs et de techniciens en tout genre. «J’ai survécu à tous les changements, s’amuse-t-il, l’œil rieur. Avec le nouveau règlement, le gardien fait davantage partie de l’équipe et du jeu. On joue plus avec lui. Désormais, on se sent seul uniquement quand on encaisse un but…»

Dans le vestiaire bullois cette saison, le Barthez (ou Kojak) local pourrait aisément être le père des plus jeunes joueurs. «Je m’adapte à la jeunesse. Quand j’avais 20 ans, c’était différent. Aujourd’hui, on a 20 ans autrement. Alors, forcément, j’éprouve naturellement plus d’affinités avec les anciens…»

Gardien, Bertrand Fillistorf l’était déjà chez lui, à Fribourg, lors de ses débuts en juniors D. «Les E et les F n’existaient pas encore… Parce que j’étais le plus petit, on m’a mis en cage. Je n’en suis jamais ressorti.» Après avoir goûté, à 17 ans, à la LNB avec Fribourg, il signait à Bulle pour… toujours. «Quand on s’enracine quelque part, cela devient difficile de partir. On ne fait que repousser une échéance qui n’arrive jamais.»

Une seule fois, en plus de vingt ans de carrière, Fillistorf posera son sac ailleurs, fera une infidélité à Bulle lors d’un court exil de six mois à Neuchâtel Xamax. «J’avais alors déjà 33 ans. C’était à l’issue de notre deuxième aventure en LNA (saison 1993-94).» Seuls quelques centimètres de pas assez – il ne mesure «que» 1,78 mètre sous la toise – l’ont empêché de percer au plus haut niveau, de faire carrière dans un club plus huppé.

Quand Fillistorf découvre la LNA en 1981, il gagne 18 000 francs par… saison; de quoi arrondir les fins de mois de cet installateur sanitaire – une profession qu’il exerce chez le même employeur depuis vingt-cinq ans. A l’heure du bilan, l’évolution malsaine de son sport, la volonté, manifestée jusque dans les bureaux de la Ligue nationale, à Mûri, de privilégier le football des villes au détriment de celui des champs l’inquiètent: «On veut promouvoir un football de riches alors qu’il n’y a plus d’argent. C’est un non-sens. Pro, c’est dans sa tête qu’il faut l’être. Professionnels et amateurs doivent pouvoir cohabiter dans la même catégorie. Sinon, des régions entières vont disparaître de la carte.»

Une carte de la Ligue nationale qui ne comprend plus le nom de Fribourg depuis la relégation de son dernier représentant en 1994. L’éparpillement des talents et la concurrence effrénée que se sont livrée ses meilleurs clubs ont fini par siffler hors jeu tout un canton. «La rivalité féroce des différents clubs a desservi les intérêts du foot fribourgeois.»

Les médecins ont voulu que j’arrête cette saison. Mais c’était plus fort que moi. J’ai remis ça…

Bertrand Filistorf

Au fil des saisons, année après année, l’habitant de Marly aura marqué, accompagné quantité de suiveurs, d’amoureux du FC Bulle, qui, vieillissant en même temps que son gardien, n’ont pas vu filer le temps. Quand l’abonné de la cage s’arrêtera-t-il de plonger? Scoop, imaginez-vous que Bertrand Fillistorf se prépare à… jeter l’éponge. Un arrêt (de la compétition) sur blessure. Un genou gauche récalcitrant, opéré voici quinze ans suite à un choc avec Gabor Pavoni, l’attaquant d’Etoile Carouge, l’oblige aujourd’hui à lever le pied, à adapter ses entraînements, à ne pas forcer.

«Les médecins auraient voulu que j’arrête cette saison. Mais c’était plus fort que moi. J’ai remis ça…» Au fond de lui-même, le Bullois le sait: il ne prendra pas le risque d’aggraver l’état d’un genou déjà victime d’arthrose. Sur son corps meurtri, cabossé, une dizaine de balafres et de cicatrices témoignent de la dureté de la condition de gardien. « Promis, cette fois, c’est ma dernière saison… »

La retraite programmée de Fillistorf à Bulle pose – «enfin»… – la question de sa succession, tant il est vrai qu’il ne faisait pas bon être No 2 à Bouleyres depuis 1980. «La plupart de mes remplaçants ont préféré partir ailleurs. Avec moi, ils avaient peu de chances de jouer. Il fallait être patient…»

UNE-DEUX Un gardien se contruit tout seul

Votre plus belle saison?

Ma première année de LNA, en 1981. Les gens découvraient Bulle. Et il y avait du monde au stade. Aujourd’hui, c’est le désert…

Un souvenir parmi d’autres?

Un bon nul, 1-1, aux Charmilles

Une «eboulette» horrible?

Il y en a eu plusieurs (rires)! Le genre de ballon qui rebondit sur l’épaule avant de filer dedans.

L’entraîneur qui vous a (le plus) marqué?

Didi Andrey, pour sa lecture du jeu, sa passion du foot. il a apporté un plus. Il avait sa disposition la meilleur équipe qu’ait jamais connue Bulle.

Le match de votre vie?

Peut-être le premier derby disputé contre Fribourg en LNB. Je venais de Fribourg, on avait gagné 3-0 à Saint-Léonard.

Un modèle?

J’aimais bien le style de Karl Engel et d’Eric Burgener, mais je n’ai jamais voulu leur ressembler. Je suis ma propre copie! Chaque gardien se construit tout seul.

Un mot qui vous caractérise?

La fidélité. En tout.

Textes: Nicolas Jaquier
Photos: Nicolas Repond
Article « Le Matin » 11.08.2002

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